Grande soirée au Café de la prospective autour de Philippe Destatte, l’un des meilleurs prospectivistes européens, qui combine l’expérience du praticien, l’érudition du passionné, la pédagogie du (bon) professeur et le sens critique de l’universitaire.
Philippe Destatte., que nous connaissons depuis très longtemps, est un prospectiviste remarquable, formé en Belgique, en France, aux États-Unis, et curieux de ce qui se fait en bien d’autres lieux. Il dirige l’Institut Destrée à Namur.
Outre sa grande compétence et la profondeur de sa réflexion sur les sujets qui nous intéressent, nous avons trouvé intéressant de l’inviter parce que la Wallonie est une région belge, un petit pays de la taille d’une région française, mais avec des attributions plus importantes. Dans un territoire réduit, quelqu’un comme Philippe Destatte fait de la prospective dans une grande proximité avec les acteurs locaux, les chefs d’entreprise, les élus, et peut témoigner avec une vision globale qu’une personne seule pourrait difficilement avoir dans un pays comme la France.
Je vais le laisser se présenter et nous parler de son parcours, des études qu’il a menées, de ses travaux actuels et de ses méthodes.
Intervention de Philippe Destatte : parcours d’un institut de recherche européen en prospective
Merci, Marc. Je vais organiser mon exposé en trois parties. Une première, comme tu m’as invité à le faire, en disant ce qu’est l’Institut Destrée – car je pense que c’est un organisme qui reste une énigme pour beaucoup –, ce qu’il fait et comment il en est arrivé à s’investir dans la prospective.
Je dirai quel a été le parcours de l’Institut depuis la fin des années 80 et quel est mon propre regard sur la prospective.
Puis je vous parlerai, pour amorcer le débat, de quelques chantiers « chauds » sur lesquels nous avons travaillé ou qui sont en cours et qui me permettront de répondre aux questions que vous voudrez bien poser.
Enfin, je viendrai à une petite conclusion sur la convergence entre la prospective et le foresight, une question qui nous intéresse tous.
- L’Institut Destrée, une énigme ?
L’Institut Destrée est un Institut de recherches, un think tank, qui est déjà fort ancien puisqu’il date de 1938. À cette date, il a été fondé comme une société savante à partir de personnalités de sensibilités politiques et philosophiques très différentes ; ce qui, en Belgique à l’époque et encore maintenant, est relativement rare tant il y a – c’est un mot qu’on utilise très peu à Paris mais qui existe chez nous – une logique de « pilarisation » ; c’est-à-dire que tout est partagé entre des piliers, en l’occurrence les piliers chrétien, laïque, socialiste, que ce soient les mutualités, les syndicats, les partis, les hôpitaux, les écoles. Tout est organisé de cette manière, et voir une société savante qui naît à partir de personnalités aussi différentes qu’un abbé, qui en est le président, un libéral franc-maçon qui en est le trésorier, un secrétaire qui est un professeur marxiste, c’est déjà quelque chose d’assez étonnant et cette dimension de pluralisme va perdurer. Elle est toujours présente puisqu’on essaie de rester dans une logique d’équilibre en accueillant dans notre Conseil d’administration à la fois des chercheurs venant d’universités différentes – et les universités aussi sont diverses – et des élus des partis politiques démocratiques : quatre parlementaires représentent les quatre partis démocratiques les plus importants du Parlement wallon.
Cet Institut, société savante, avait comme objet la défense et l’illustration de la Wallonie. Il voulait travailler autour de l’idée, de la conception d’une région qui n’existait pas encore, sauf sous certains aspects, et s’inscrire dans la logique d’une personnalité assez gigantesque pour la Belgique, pour la Wallonie : Jules Destrée, mort deux ans auparavant, en 1936.
Jules Destrée avait été l’un de ceux qui avaient mis en évidence, avant la guerre 14-18, dans une lettre restée célèbre adressée au roi Albert, le fait qu’il y avait deux peuples en Belgique, l’un flamand et l’autre wallon et qu’on n’arriverait pas à trouver de solution pour qu’ils s’entendent parce que, écrivait-il, cela faisait plusieurs dizaines d’années (il aurait presque pu écrire plusieurs siècles) qu’ils coexistaient plus ou moins heureusement et qu’il faudrait, pour que la Belgique soit maintenue, instaurer un système fédéral.
Ce message était celui d’un député un peu marginal puisqu’il était membre du Parti ouvrier belge, internationaliste par définition – et Jules Destrée aussi sera internationaliste en s’engageant avec Aristide Briand et d’autres dans l’aventure de la Société des Nations. Le gouvernement belge était (de 1884 à 1914) aux mains d’un parti catholique homogène et essentiellement flamand. C’est contre cette monopolisation du pouvoir que Jules Destrée s’élevait, avec comme message : « Nous voulons un projet de société qui soit plus conforme à nos aspirations et notamment aux valeurs de la Révolution française. » Aujourd’hui, nous dirions « une vision » plutôt qu’ « un projet ».
Cette ouverture va agacer profondément son parti. Il est souvent en cartel avec des libéraux. C’est un ancien libéral lui-même. Il a un frère Dominicain, donc affectivement il est aussi ouvert sur un autre monde, et il affirme une région qui n’existe pas encore et dont il appelle à la création dans un système fédéral. Ceux dont je vous ai parlé, les fondateurs de l’Institut Destrée, qui se réunissent en 1938, veulent donner une consistance intellectuelle à une idée, et voir comment on pourrait intellectuellement muscler cette idée de Wallonie. Il y a donc une dimension à la fois patrimoniale : comment l’illustrer et comment essayer de créer une vision. C’est une petite association ; il faudra attendre 1960 pour qu’elle prenne officiellement le nom d’Institut Destrée. Elle va d’abord s’intéresser à l’histoire – d’où le fait qu’il y ait des historiens, j’ai moi-même cette formation – et organiser des colloques, des conférences. Elle va beaucoup publier — c’est d’ailleurs une coopérative d’édition. Les savants qui se réunissent autour de la table payent une cotisation qui leur permet d’éditer des livres sous un label qui va avoir une certaine reconnaissance.
Pour ma part, je découvre cet organisme en 1980. Je sors du service militaire et je suis jeune chercheur et enseignant ; je vais à une conférence de l’association des anciens de l’université de Liège, dont je suis diplômé, et il y a là une personnalité libérale très importante en Wallonie, un historien qui a été recteur puis président de l’université libre de Bruxelles, ministre à plusieurs reprises[1], et qui est aujourd’hui secrétaire perpétuel de l’Académie, Hervé Hasquin. Il vient de publier Historiographie et politique, essai sur l’histoire de la Wallonie. Je découvre qu’il existe une histoire de la Wallonie alors qu’on ne m’en a jamais parlé à l’université, que l’on peut tirer un fil de compréhension de la Wallonie par une histoire ponctuée d’événements dont on ne parle pas du tout, sauf qu’un certain nombre de mes professeurs ont publié des articles sur la Wallonie — je le découvre à ce moment-là —de façon underground, à Bruxelles on dit en stoemelings (caché). Moi qui suis, à ce moment-là, spécialisé dans l’histoire de la Russie, des pays slaves… je suis conquis par cette pensée. En quatrième de couverture du livre de Hervé Hasquin, je lis qu’en adhérant à un Institut qui le publie, je peux avoir d’autres livres aussi alléchants. Ce que je fais immédiatement. J’entre dans l’organisation. Comme souvent, le petit jeune qui entre, on en fait un secrétaire. Je deviens donc secrétaire d’un comité liégeois. Puis, le président de cette association, Jacques Hoyaux, – qui est aussi à l’époque ministre de l’Éducation nationale, ce qui n’est pas rien – m’invite à devenir administrateur.
Comme administrateur, je suis saisi, deux ans après mon adhésion, d’un dossier qui est une proposition de lancer une recherche interuniversitaire sur la Wallonie, donc de passer d’une société savante à une logique de recherche professionnelle. A l’époque, alors que je donne des cours dans l’enseignement secondaire, je monte un dossier de recherche et j’obtiens quatre chercheurs licenciés, dont un master en histoire et quatre documentalistes gradués bac + 3. Je continue mon travail dans l’enseignement secondaire mais je dirige une équipe de huit chercheurs. Je crée le centre interuniversitaire d’histoire de la Wallonie en retournant voir Hervé Hasquin pour l’université de Bruxelles mais aussi des professeurs de Liège que je connais, des professeurs de Mons, de Louvain-la-Neuve, etc.
Avec ce comité qui commence à travailler sur une recherche très innovante, je suis absorbé par l’organisation et j’en deviens directeur avec une secrétaire et huit chercheurs qui ont un mandat de recherche financé d’un an, donc difficile à maintenir. A ce moment-là, je me dis : « Il faut absolument qu’à cet effort historique on associe un effort prospectif ». C’est-à-dire qu’à une identité de patrimoine qui est défendue par l’organisation, on associe une identité de projet. J’arrive à persuader mon conseil d’administration de lancer un exercice de prospective, on est en 1986 et ce projet s’appelle La Wallonie au futur. Cette démarche est complètement endogène.
- Un regard sur un parcours en prospective
J’arrive donc à la deuxième partie de mon exposé : la prospective.
2.1. La période wallonne (1987-1999)
On observe une première période que j’appellerai la période wallonne de la prospective de l’Institut Destrée et de la mienne. Elle se base sur la mise en place d’un réseau car la force de l’Institut Destrée c’est sa capacité à réunir les gens, c’est son carnet d’adresses, c’est le fait qu’on embarque des gens de toutes les universités. On se retrouve avec près de 400 personnes – la plupart chercheurs dans les différentes universités ou centres de recherche, prêtes à s’impliquer dans ce travail.
C’est un travail très empirique. J’ai peu de choses en tête en matière de prospective, de 1987 à 1999. J’ai un background de prospective américaine, j’ai lu comme tout le monde à l’époque des ouvrages comme ceux d’Alvin Toffler, de John Naisbitt (Megatrends), qui me parle assez bien à l’époque, c’est un de mes premiers contacts avec la prospective mais j’ai aussi découvert – parce que je me suis intéressé comme historien à la Révolution industrielle – la Wallonie a connu la première Révolution industrielle sur le continent après l’Angleterre (qui, comme chacun le sait, n’est pas sur le continent). À partir de cette approche et notamment de la pensée de l’historien liégeois Pierre Lebrun qui a écrit plusieurs ouvrages sur ce sujet, j’en viens à cette idée – qu’on retrouve chez Naisbitt – qu’il y aurait une nouvelle révolution industrielle en cours, une mutation.
Le premier exercice de prospective que nous lançons va donc s’appeler La Wallonie au futur, vers un nouveau paradigme, c’est-à-dire une mutation locale d’une région anciennement industrielle qui essaie de se moderniser, dans un cadre de transformation global. Une mutation qui nous emmène vers la société de l’information. A ce moment-là, je découvre le Rapport sur l’état de la technique de Thierry Gaudin et André-Yves Portnoff, je découvre toutes les conférences qui ont été faites à l’époque Mitterrand : les travaux de Stourdzé et de Mattelart, d’Alain Minc sur la société de l’information. Dans ces colloques Mitterrand on parle de Duby, de Prigogine avec l’idée de pensée complexe… Donc, on dispose des éléments qui vont se mettre en place et même la pensée de Gaston Berger émerge par des élus sociaux-chrétiens qui sont dans la logique de Teilhard de Chardin et qui ont découvert Gaston Berger, dont la phrase « Demain ne sera pas comme hier, il sera nouveau et dépendra de nous, il est moins à découvrir qu’à inventer » servira de filigrane à ce premier exercice de prospective. Quatorze ateliers, quatre cents personnes, on lance une machine qui nous dépasse complètement. On essaie d’articuler – avec à chaque fois des professeurs de très haut niveau pour la Wallonie – des ateliers, des carrefours, de croiser les pensées, et l’on va prendre les quatorze présidents d’atelier pour faire un comité scientifique, on va se mettre modestement à leur disposition en leur disant « C’est vous qui pilotez ». Je dis souvent à mes collaborateurs : « J’ai appris énormément parce que j’ai repris ce rôle de scribe, j’ai été le secrétaire du comité scientifique. » Ils se réunissaient tous les deux ou trois mois et je les entendais pendant des heures autour d’un sandwich ou d’une bonne table, et pendant des heures, je « grattais ». Cela m’a beaucoup aidé à concevoir des approches très pluridisciplinaires et interdisciplinaires, le difficile dialogue entre les uns et les autres et la difficulté de se projeter dans l’avenir.
Après un premier exercice qui aboutit en 1987 à Charleroi, suit un deuxième exercice en 1991 qui se termine par une grande conférence à Namur sur le défi de l’éducation, un troisième en 1995 sur les questions de l’emploi où l’on s’articule avec la dimension européenne – c’est l’époque du rapport pour Jacques Delors sur la compétitivité et l’emploi. À ce moment-là, j’ai fait une petite parenthèse, je suis resté directeur de l’Institut Destrée mais j’ai été nommé chef de cabinet au ministère fédéral de la politique scientifique, ce qui m’a donné accès à des analyses à Bruxelles, à des contacts avec la commission européenne, donc ce travail est préparé avec cette dernière qui est heureuse de voir une région qui s’investit dans la problématique portée par la Cellule de Prospective.
Mais comment fonctionne-t-on ? On est sur une prospective qui vient de citoyens, d’une association sans but lucratif, qui se lance sans moyens (elle n’est pas subventionnée ou très peu), et qui interpelle un gouvernement en demandant au Ministre-président de venir clôturer les travaux, ce qu’il fait. Puis, on arrive à lui dire : « Vous étiez content, peut-être que vous pourriez nous aider dans ces travaux ? » Donc, on reçoit une subvention qui nous permet de soigner un peu mieux ceux qui s’impliquent, de faire un peu de communication, de publier des ouvrages, et de faire un autre exercice qui aboutira en 1998 à Mons sur l’évaluation de ce que nous avons fait jusque là, donc sous le titre d’ Évaluation, prospective et développement régional. Puis on se dit qu’il faut franchir un pas : d’organisateur, de pilote, d’intermédiateur, on a besoin – parce qu’il y a le modèle Delors qui nous titille aussi – de créer une cellule de prospective comme il y a une chez Delors. Je vais bientôt embaucher quelqu’un de l’ancienne cellule de Jacques Delors : Marc Luyckx Ghisi, qui vient dans notre équipe, et je mets en place une cellule de prospective.
C’est magnifique…. Oui, sauf que là, on vit ce qui peut apparaître comme un premier échec. En effet, le Ministre-président qui arrive en 1999 m’appelle et me dit : « Tout ce que vous avez fait est remarquable, j’aimerais bien faire la même chose. D’ailleurs, je sais que c’est ce qu’a fait Tony Blair, en Angleterre. Il a eu une structure qui fait du back office et qui l’aide à avoir une approche prospective. Est-ce que l’Institut Destrée veut faire ça ? » Évidemment, on a des francs ou des euros qui pétillent dans les yeux mais l’un des engagements majeurs, l’une de nos réussites a été le partenariat qu’on est parvenu à mettre en place progressivement dans ces exercices de prospective avec l’administration wallonne. La pensée du Ministre-président est celle-là : « Le lundi on a un problème, on vous envoie un message, vous faites une note à ce sujet, vous avez la capacité de… » Oui, sauf qu’on va être pris dans une logique d’enfer. Je commence alors à avoir des contacts avec des prospectivistes un peu plus sérieux que nous. Jacques Lesourne dit toujours : « Une cellule de prospective, c’est bien mais elle doit être à une certaine distance de l’élu, sinon elle va travailler pour lui tous les jours en fonction de ce qu’il lira dans le journal du matin. » Donc, à cette proposition, pourtant tentante, je dis : « Non, ce qui serait intéressant c’est une cellule de prospective.» Il se laisse à peu près convaincre et dégage les moyens que nous demandons parce qu’évidemment une cellule avec six ou sept personnes cela demande des moyens importants. Dans le même temps, nous allons lancer un autre exercice qui s’appellera Wallonie 2020, une prospective plus formelle sur le modèle que nous venons de découvrir dans le Limousin[2] et nous entrons dans la deuxième période que j’ai appelée « La période parisienne».
2.1. La période parisienne (1999-2005)
Cette période de prospective « parisienne » commence en décembre 1999 aux assises de la prospective à l’université Dauphine où l’on découvre tout le travail qui a été fait au CNAM par Michel Godet, ainsi que par Futuribles. C’est complètement nouveau pour nous. Je regardais mes notes de l’époque, pour retrouver ces éléments-là ; c’est avec enthousiasme qu’on sort d’une prospective endogène pour aller vers une prospective construite. Je suis à Paris en janvier 2000 pour l’hommage à Jacques Lesourne, et je prends des contacts avec toutes les personnes présentes dont Michel Crozier, qui aura une forte influence sur moi.
Cette période est marquée par tout ce qui nous est arrivé : on suit des formations, toute l’équipe va à Paris régulièrement. Mais il y a aussi le travail avec la cellule de prospective : nous étions aussi très pris par la Commission européenne et principalement par la direction générale recherche, avec Paraskevas Caracostas, Günter Clar, Elie Faroult et Christian Svanfeldt… Nous sommes embarqués dans tous ces exercices aux noms anglais évidemment :
- Blueprints for foresight actions in the regions : comment on crée des canevas de prospective dans les régions au niveau européen,
- Mutual Learning platform : comment on crée une plateforme d’apprentissage continu sur les questions de prospective mais aussi de benchmarking ou autre chose,
- Regions of knowledge : comment on crée des régions de la connaissance avec des financements européens pour mettre en place des réseaux européens,
- Cities of tomorrow: comment créer des villes en développement durable.
C’est aussi l’époque où on est happés par la DATAR : je serai membre du conseil scientifique pendant cinq ans, jusqu’à sa disparition. C’est la création du Collège européen de prospective, une idée qu’on a dans le conseil scientifique (qui ne se veut pas « scientifique, mais « d’action ») présidé par Michel Godet. Une des propositions que je fais à ce moment-là est : « Il y a une prospective qui se développe au niveau européen, mais il n’y a pas de Français, alors que je vois que la prospective est profondément marquée par la France : vous êtes bien plus avancés sur une série de sujets tels que les régions que ce que j’entends chez les anglo-saxons. Il faut donc prendre une initiative à Paris, où l’on ne va pas travailler uniquement en anglais mais aussi en français, voire en allemand, en faisant un travail conceptuel essayant de rassembler, dans ce collège, les éléments de cette pensée. » Et ça va fonctionner. Philippe Durance en sera le rapporteur, je serai bombardé président de ce Collège (parce qu’on ne sait pas trancher entre Michel Godet et Hugues de Jouvenel et on se dit « un Belge va être diplomate, il va s’interposer entre les deux ») On travaille sur les concepts de la pensée prospective, des mots de la prospective. Nous tenons trois séminaires résidentiels à Evry, tout un travail qui a débouché sur un certain nombre de choses concrètes, dont le glossaire de la prospective territoriale.
Une évolution qui est donc légèrement euphorique : on court un peu partout, on trouve qu’il y a des tas de choses très intéressantes. Hugues de Jouvenel me dit : « Tu as fait le tour de ce qu’il y avait ici, il faut que tu ailles aux États-Unis. On est en 2000, je pars à Houston, je découvre Peter Bishop, la World future society. On va rester en contact et nous irons chaque année ou presque à la World future society. Même chose avec le Millennium project : pour sortir du carcan belgo-belge, du face-à -face avec les Flamands, on crée une aire de Bruxelles dans laquelle on met le Nord-Pas-de-Calais, le Limbourg hollandais avec Maastricht et la Lorraine, la Flandre, Bruxelles et la Wallonie, et nous devenons le « nœud » de ce territoire : MP Brussels’Area Node.
De cette période, on sort avec un certain nombre de certitudes sur les méthodes mais on sait bien que pour le prospectiviste les certitudes ne durent jamais longtemps. On entre à ce moment-là dans une période que j’appelle la période basque ou la période andalouse. Vous allez dire : « Ce n’est pas la même chose ! » Effectivement.
2.3. La période basque ou andalouse (2005-2009)
La période basque pourquoi ? Je lis le cahier que Marc Mousli a fait dans les cahiers du LIPSOR sur le Pays basque 2010, c’est vraiment très intéressant, une pensée a été construite. Puis, le hasard des choses fera que je serai appelé à un travail de recapitalisation au Pays basque. Recapitaliser c’est essayer de refaire l’histoire et l’histoire de la prospective au Pays basque me fait un choc parce que tout ce que Marc écrit est vrai mais il y a d’autres vérités derrière et l’une d’entre elles qui me frappe très fort : c’est que tout ce travail débouche sur une forme d’impasse qui est classique à l’époque. L’élu a vécu un moment important mais il revient à son travail quotidien et il se dit : « Qu’est-ce que je vais faire avec ces scénarios ?, cette stratégie, comment vais-je l’adapter ? » Il est un peu désemparé. Si j’ai bien compris la problématique, on va faire appel à des stratèges qui vont prendre le contrepied du travail de la prospective. Donc, ils vont dire : « Maintenant on va faire un travail sérieux et on va faire cela sans les prospectivistes. » A l’époque c’est Acadie qui va faire cela à plusieurs endroits.
C’est un peu la même chose en Wallonie en 2004, on se heurte au Ministre-président qui a changé, malheureusement, en 2001. Celui qui nous voyait en cellule de prospective a été remplacé par un autre qui disait : « Cellule de prospective indépendante, déjà le mot « indépendante » je n’aime pas… » Donc, on voit que la prospective quotidienne marque le pas.
Lors d’une mission avec Hugues de Jouvenel et Helen Von Reibnitz dans la communauté urbaine de Dunkerque, chez Michel Delebarre, je découvre que la prospective va donner des résultats, mais que l’on ne les retrouve pas dans les contrats de plan état-région. Je rencontre aussi Daniel Behar avec qui on se heurte de front parce qu’il tient le discours suivant : « La prospective ce n’est pas sérieux, ça ne mène à rien, etc. » Je suis outré. Finalement, à mon initiative, nous allons l’inviter à la DATAR, pour dialoguer avec un groupe d’étude sur la prospective territoriale composé de prospectivistes expérimentés. Il va nous challenger et cela nous fera progresser. Je pense que cela fera aussi progresser Acadie…
La période andalouse pourquoi ? Parce que nous avons une mission d’évaluation du travail de prospective régionale européenne réalisé par l’IPTS (Institute for Prospective Technological Studies) à Séville. C’est une mission qui nous est confiée par la Commission à Bruxelles et on découvre un peu les mêmes choses, que j’ai résumées à l’époque – j’ai retrouvé le document hier – dans un exposé que j’ai fait à la charnière des deux périodes (la suivante sera la période normande ou texane – vous voyez que je ne suis pas encore complètement stabilisé en ce qui concerne les concepts). Le 6 juin 2008, je suis invité à un colloque sur les pratiques de la prospective dans les organisations, à Deauville, où je me heurte à la même réticence sur la prospective de la part de gens qui sont plutôt dans la stratégie ; Patrick Joffre, Bernard de Montmorillon, de Dauphine, Luc Boyer… des gens que vous connaissez, qui me challengent aussi. J’ai de longues discussions avec Philippe Mirénovicz, et cela m’amène à faire une synthèse des travaux d’évaluation que j’ai réalisés pour la Commission, pour le Pays basque, pour Dunkerque et pour l’Institut Destrée. Lors d’un séminaire, je présente cette synthèse en dix points, intitulée@ « Les dix faiblesses de la prospective » :
- Les objectifs de l’exercice n’ont pas toujours été définis ou restent flous,
- Le leadership est trop lourd et la participation trop étroite,
- Le conformisme règne en maître et les méthodes sont routinières,
- Les enjeux ne sont pas identifiés, trop nombreux, ou portent sur un trop long terme,
- Certains des ateliers de prospective ne débouchent que sur des banalités qui sont valorisées comme si elles étaient déterminantes,
- Aucune vision de long terme n’est construite ou alors elle est rudimentaire ou non partagée par les parties prenantes (la problématique de la vision est essentielle, on le voit aujourd’hui),
- Des scénarios construits comme exploratoires deviennent subitement des scénarios normatifs (c’est à mon avis le défaut majeur de l’époque),
- Des exercices s’arrêtent sans construction d’axe ou d’orientation ni d’action stratégique,
- Des biais ont été introduits dans la démarche car le diagnostic était inconsistant ou bien n’était pas prospectif, mais simple comme on le fait en stratégie,
- Les équilibres, les processus, les rythmes internes ont été négligés, l’implication des parties, le processus d’apprentissage organisationnel, tout cela n’a pas été abordé sérieusement.
Vous voyez, je « crache dans la soupe », je « me tire une balle dans le pied » et je dis: « Que fait-on maintenant ? »
2.4. La période normande ou texane (2009- )
On va essayer de retravailler. On entre dans cette période normande par l’organisation des Assises européennes de la prospective territoriale à Deauville, les 11 et 12 juin 2009.
On fait venir Peter Bishop et c’est là qu’il y a un côté texan. Il ne nous quittera plus ; nous travaillerons avec lui jusqu’à aujourd’hui, en allant régulièrement à Houston et en le faisant venir chaque année à Bruxelles pour des formations. Ce qu’on dénonce surtout, c’est le défaut d’anticipation. Nous restons normands avec un exercice en deux jours, Normandie 2040, qui nous est demandé par la Chambre de commerce et d’industrie de Caen. Puis on sera appelé par le Conseil régional pour faire Normandie 2020+. Avec la Basse Normandie, on réfléchit sur « la » Normandie ; on dira ce que l’on voudra sur la réforme territoriale, il existe au moins un endroit où l’on a anticipé, préparé, voulu des changements, c’était en Normandie. La vision qui est créée à ce moment-là est celle de l’ensemble de la future région. Je me dis : « Quand même aujourd’hui, tout cela existe ou ça peut exister, en tout cas sur le papier, on verra ce que ça donne dans le quotidien ».
C’est dans ce cadre-là qu’on essaie de développer, en janvier 2010, une méthode un peu nouvelle, qui répond à ces problématiques : la méthode des bifurcations. On le fait lors d’une semaine passée à Houston avec mon collaborateur Michaël Van Cutsem, directeur de recherche à l’Institut Destrée, en dialoguant avec Peter Bishop.
Les bifurcations, si je reprends le petit guide réalisé avec Philippe Durance et le Collège européen de prospective, c’est le moment où une variable, un système, peut évoluer dans plusieurs directions. On essaie d’identifier ce moment. Ce qu’on veut intégrer dans cette démarche c’est une pensée articulée à la fois sur le passé, le présent et le futur. Pour cela, on va s’appuyer sur les travaux de Jacques Lesourne notamment ceux de son livre sur les avenirs qui n’ont pas eu lieu[3], en se disant : « Finalement, on fait la prospective sur les futurs possibles mais pas suffisamment sur les passés possibles ». Or, il y a des bifurcations dans le passé qui sont essentielles et où il ne se passe rien alors qu’il aurait pu se passer quelque chose. C’est plus facile, a priori, de réfléchir sur le passé que sur le futur.
Donc, nous commençons la méthode des bifurcations par un travail de rétroprospective : que s’est-il passé pendant cette période et qu’aurait-il pu se passer ? C’est très enrichissant. On renoue avec la question des temporalités. J’ai toujours admiré les travaux de Jean Chesneaux comme historien, Habiter le temps[4]. Et à côté de cette rétroprospective on va déboucher sur une vision, la détermination d’enjeux et la réponse aux enjeux.
Cet effort qui est le nôtre vise aussi à intégrer un discours que Thierry Gaudin connaît bien, sur la pensée créatrice, la trifonctionnalité qu’il décrit dans son livre, et qui recherche un équilibre entre le pôle factuel, le pôle délibératif et le pôle conceptuel[5], en se disant : « Finalement, à côté du triangle grec de Michel Godet : appropriation, anticipation (stratégie) et action (mise en œuvre), il y a peut-être un autre triangle : comment construire des faits de façon sérieuse et solide, comment les mettre en délibération et comment déboucher sur une conceptualisation importante ?
Puis, on essaie d’ajouter une dimension visuelle qui manque à la prospective, de faire un effort de modélisation ; dès le début de l’exercice, on va essayer de montrer quelles sont les trajectoires possibles, et de le faire au fur et à mesure de l’articulation de la pensée ; c’est un apport des travaux de Mika Aaltonen (ancien joueur de l’Inter de Milan, mais surtout grand prospectiviste finlandais, professeur à l’université d’Helsinki). On essaie donc d’intégrer cet effort de modélisation, de systémique, d’approche complexe, dans la méthode des bifurcations. Puis, on progresse vers une prospective plus opérationnelle, plus tournée vers les résultats.
Ce sont des efforts d’efficience nécessaire : on est entré dans une période de rareté des moyens publics, et l’on ne peut plus faire des exercices de prospective avec des analyses structurelles et morphologiques qui vont nous prendre des jours, des semaines. Et in fine, comme le disait parfois Michel Godet, se mettre à trois ou à quatre devant les tableaux et matrices, puis se demander : « Qu’est-ce qu’on peut faire avec ça, comment peut-on sortir une pensée ? » L’idée ici c’est de pouvoir le faire in itinere, chemin faisant, et on va le démontrer à plusieurs reprises. Ce ne sont pas les meilleures conditions mais si on veut travailler avec des chefs d’entreprise, travailler deux jours de 8 à 18 heures, c’est possible, vous ajoutez la nuit pour remettre au net les documents et vous arrivez avec un produit réellement intéressant.
J’arrive à la dernière période : la période normande ou texane qui intègre cette approche, qui intègre ce que disait Philippe Augier, le maire de Deauville à l’ouverture du colloque de 2009 « Les idées ne valent que par leur réalisation ». Cette formule va nous tourner dans la tête ; elle arrive à un moment où la pensée de prospective se renouvelle. C’est le moment de la thèse de Philippe Durance et des efforts qui sont faits par lui et tous ceux qui l’entourent pour mettre en avant les grands textes de la prospective, notamment la pensée de Gaston Berger. Cela nous nourrit très fort et on y retourne aussi. Je suis marqué par l’influence américaine qui se pose sur Gaston Berger, particulièrement les pages où il dit qu’il faudrait travailler davantage la stratégie en s’inspirant par exemple d’un Kurt Lewin, psychologue du changement . Le modèle de transition de Kurt Lewin c’est un modèle qui ressemble beaucoup à un modèle présent dans la prospective australienne chez Richard Slaughter le T-cycle (transformation cycle), une connexion entre la prospective et le management[6]. Je ne suis pas le seul à le faire à l’époque, Régine Monti, Nathalie Bassaler ou d’autres essaient de faire cette reconnexion.
On est toujours dans cette période où l’on tente de faire non plus une prospective du regard – je le dis de façon un peu provocatrice : « Regarder l’avenir », mais de la transformation. Une prospective qui intègre la stratégie. On parle toujours de prospective stratégique mais qui l’intègre vraiment cette stratégie ? qui va jusqu’au bout du processus y compris son évaluation ? qui parle des actions concrètes à mettre en place et des moyens financiers à engager pour réaliser les axes stratégiques, afin de répondre aux enjeux et d’atteindre la vision ? Les élus n’aiment pas qu’on leur parle d’argent mais si on veut garder ceux qui se sont impliqués dans l’exercice, il est nécessaire d’en parler. On ne va pas réussir à le faire au niveau régional, parce que la Région wallonne ne veut pas : elle crée d’autres outils qui lui sont plus proches, sur le modèle de Tony Blair. Nous réussirons à le faire au niveau territorial avec la province du Luxembourg (Luxembourg 2010), la métropole de Charleroi (Charleroi 2020), la Wallonie picarde 2025 (entre Lille et Bruxelles), le « Cœur du Hainaut 2025 » entre Valenciennes, Bruxelles et Tournai, Mons, La Louvière. Nous irons très loin dans ces exercices de prospective.
Tout cela est fait en se nourrissant d’idées venues de partout, mais reste très lié au terrain, très empirique. Je suis fasciné par ce que j’ai découvert voici juste un an : la thèse de Chloé Vidal[7]. Je n’ose pas en parler parce qu’elle est présente ce soir, mais cette thèse démontre cette idée de la pensée de Berger tournée vers l’action stratégique, au-delà du simple discours comme nous l’avons trop longtemps pratiqué en prospective. Donc une prospective d’impact, une prospective du changement. Cela fait très peur car on peut dire : « Regardons les territoires où nous avons travaillé et voyons si les indicateurs les ont fait évoluer. » Il faut être modeste, c’est la première vertu du prospectiviste, qui sait bien qu’il n’est pas le seul acteur sur le territoire mais il existe des moyens de réaliser ce travail, avec une prospective beaucoup plus volontariste et c’est cette dernière que nous allons essayer de mener. Je vais donc passer à la troisième partie : « Quels sont nos travaux en cours ? Qu’est-ce qui est important ? » Ce sur quoi nous travaillons en ce moment.
- Quels sont nos travaux en cours : what’s hot?
J’ai pris sept de ces travaux en cours qui me paraissent être des chantiers importants.
3.1. Prospective industrielle et développement durable : le Nouveau Paradigme industriel
Le premier chantier, c’est celui de la prospective industrielle et de son lien avec le développement durable, ce qu’on appelle le nouveau paradigme industriel, c’est-à-dire essayer de construire une pensée véritable de prospective qui nous écarte de toutes les modes. On a toujours essayé de faire ça, même si parfois on a beau être allergique aux modes, certaines sont davantage que des modes. Nous essayons de répondre à cette question essentielle : « Y a-t-il vraiment une quatrième révolution industrielle ? » comme le dit Jeremy Rifkin dans le Nord-Pas-de-Calais ou la Région Wallonie, « Qu’est-ce qu’il en est ? C’est quoi un changement ? » Cela nous renvoie aux travaux de Bertrand Gille, aux systèmes techniques, à Jacques Ellul, une série d’auteurs qui peuvent nous éclairer, comme Thierry Gaudin. Ce travail est concret parce qu’il se décline sur un territoire : on travaille sur l’économie circulaire dans le cœur du Hainaut, sur les problématiques du numérique dans l’arrondissement de Philippeville, le Hainaut, à Liège et dans le Luxembourg où on accompagne des exercices de prospective. Nous cherchons le meilleur niveau pour réaliser des transformations : est-ce au niveau régional que l’on peut faire de l’économie circulaire, ou faut-il être suffisamment proche des entreprises pour avoir leur confiance et agir au niveau territorial ? » Ce sont de vraies questions auxquelles on n’a pas de réponse toutes faites mais sur lesquelles on travaille sur le terrain.
3.2. Le Collège régional de Prospective de Wallonie
Deuxième chantier, ouvert en 2004, au moment où l’on a eu des difficultés à faire passer des idées au niveau régional, où le Ministre-président de l’époque nous disait : « Ce n’est pas à vous de faire de la prospective, d’ailleurs je ne veux plus que vous en fassiez ! ». Comme il créait un organisme, il voulait lui réserver le monopole de la prospective ; mais nous sommes une association de type « Loi de 1901″, nous avons un Conseil d’administration et même le ministre-président le plus aimable n’a pas à nous dire ce qu’on doit faire. On a donc créé, sur le modèle qui existait en Poitou-Charentes à l’époque de Jean-Pierre Raffarin, un Collège régional de prospective avec trente personnes : dix venues du monde de l’entreprise, dix de la fonction publique et des universités et dix du monde associatif. Comme il fallait qu’on soit solide, face au gouvernement qui ne voulait pas que nous créions le Collège régional de Wallonie, nous avons cherché un bouclier. Un commissaire européen remarquable sortait de charge, Philippe Busquin, qui avait fait de la prospective en tant que commissaire à la recherche et était administrateur de l’Institut Destrée. Il a accepté la présidence et a joué ce rôle de bouclier, de médiateur et d’impulsion intellectuelle. Sans subventions, avec nos moyens propres, on a développé une prospective de l’action qui se poursuit aujourd’hui, dix ans après. Il ne s’agissait pas de dire : « On va interpeller le gouvernement sur un certain nombre de points », mais « on va faire nous-mêmes ».
Il y a dans le Collège des professeurs d’université, des banquiers, des consultants, des chercheurs, des fonctionnaires… Comment produire des éléments de changement en travaillant nous-mêmes la société ? On est parti sur une prospective des valeurs et des comportements, qui a débouché sur un exercice intitulé Wallonie 2030, et on vient de faire tout un travail, qui est toujours en cours, sur treize trajectoires de la Wallonie à partir de la méthode des bifurcations [8].
3.3. La Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne
Troisième chantier : la plateforme d’intelligence territoriale wallonne. Voici juste dix ans, des exercices de prospective avaient été lancés dans différents territoires de Wallonie, l’Institut Destrée s’est dit : « Ils sont à des niveaux différents, ils ont des problèmes qui peuvent être semblables, il existe un risque qu’ils tirent tous dans un sens différent, ce qui n’est pas bon pour la région, donc essayons un partenariat avec l’administration régionale – je vous ai dit que je crois à l’efficacité de ce type de partenariat. Nous avons lancé une plateforme sur le modèle de ce qui avait été fait au niveau européen, la Mutual learning Platform, dont j’avais piloté la partie prospective. Cette plateforme wallonne d’apprentissage collectif à la prospective et à l’intelligence territoriale, réunit tous les acteurs de la prospective territoriale, plus des experts universitaires, et en travaillant. En dix ans, on a organisé quarante séminaires (quatre par an). Pour le moment, nous travaillons sur le futur schéma de développement territorial — le SRADDET comme on dira bientôt en France pour le niveau régional [9].
3.4. La prospective de la transmission des entreprises wallonnes
Quatrième chantier, tout aussi important : la transmission d’entreprise. C’est un chantier sur lequel on a fait des scénarios pour la région, un travail comparatif avec ce qui se faisait au niveau européen. Les scénarios ont été construits sur des études de cas un peu typiques et nous étudions actuellement comment ils pourraient évoluer. C’est un travail assez particulier, assez pointu mais qui réunit des acteurs de premier plan, publics, privés et universitaires, du monde de l’entreprise, avec une vocation d’observation et de comparaison internationales.
3.5. Méthodes de la prospective appliquées à l’anticipation du terrorisme et au contre-terrorisme
Cinquième chantier. Nous sommes happés également – et je crois que nous ne devons pas nous en plaindre – par les problèmes du moment. La problématique du terrorisme, de l’anticipation de ce genre d’actions, intéresse aussi nos interlocuteurs. Le 10 novembre 2015, je parlais à la Sûreté de l’État en Belgique de la prospective appliquée en termes d’anticipation, je me suis très vite aperçu que je n’avais pas grand-chose à leur apprendre car ils en connaissaient déjà beaucoup. Ils ne savaient pas quand, ni qui, ni où mais l’essentiel ils le savaient et vous l’avez subi trois jours plus tard. La Sûreté Militaire est intéressée, y compris aux aspects géopolitiques liés à ces questions, l’OTAN également, à laquelle nous avons répondu dans le cadre de nos travaux menés avec le Millennium Project et ses nœuds pertinents. Nous participons à un séminaire pour l’OTAN en juillet prochain à Washington. Et je sors d’un séminaire de plusieurs mois avec mes étudiants à Paris Diderot, où l’on a travaillé cette année la prospective du contre-terrorisme avec trois études de cas : l’Espagne, l’Allemagne et l’Angleterre. Vous comprendrez que je n’aie pas inclus le cas de la France.
3.6. Pôle académique Liège-Luxembourg
Sixième chantier : nous avons répondu à un appel d’offre pour aider à monter la stratégie à 2025 du pôle académique Liège-Luxembourg. Une réforme a été engagée en Wallonie et à Bruxelles, à l’initiative du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dans la ligne de Bologne, pour redessiner le paysage universitaire, intégrer aux universités, à un niveau territorial, toutes les « hautes écoles », celles qui forment les bac + 3, ainsi que les centres d’éducation tout au long de la vie et certaines écoles artistiques. Le territoire, c’est Liège-Luxembourg, deux provinces-départements. Nous essayons d’y valoriser des dispositifs d’enseignement supérieur qui soient des acteurs du redéploiement économique et qui gardent leurs missions au niveau européen.
3.7. Millennia2025, Femmes et Innovation
Septième chantier : C’est Millennia 2015, un projet lancé en 2008. Comme historien, lorsque je donne mon cours de Société et des Institutions à l’université de Mons, j’ai l’habitude de dire que l’élément majeur du vingtième siècle : c’est l’émancipation politique et sociale des femmes.
Millennia 2025, créé en partenariat avec le Millennium Project mais auquel se sont agrégés d’autres acteurs est un exercice de prospective à long terme, une forme de pari avec une première conférence qui s’est déroulée à Liège en 2008, à l’Unesco à Paris en 2012 et qui doit aller, nous l’espérons, aux États-Unis en 2020. C’est un travail de réseau mais aussi de terrain : dix mille personnes, acteurs et chercheurs, sont impliquées et font remonter leurs problèmes : les femmes massacrées dans les Grands lacs, les femmes humiliées ou méprisées en Asie, en Amérique latine, et même en Europe, etc. Des comités locaux se sont partout constitués et tout un réseau fonctionne avec la volonté de réaliser une prospective pratique. Il existe des programmes à l’intérieur de ce projet, qui mettent en œuvre les idées qui ont été avancées, les stratégies qui ont été construites, qui vont chercher des financements privés pour fournir des matériels d’auscultation maternelle pour l’Afrique et qui fonctionnent sur un mode « téléphone portable ».
Comme huitième axe, je pourrais évoquer les réflexions que nous menons avec le Parlement de Wallonie sur les problématiques de démocratie délibérative, mais j’en viens à ma conclusion.
- Conclusion : Paris, un phare de la prospective européenne ?
Finalement, ce qui est remarquable, c’est cet effort de convergence au niveau européen entre la prospective française et les autres, c’est-à-dire le foresight. On pourrait évoquer les États-Unis mais je pense que le mode de pensée y est différent. Lorsque je parle avec Peter Bishop de la prospective, il nous en apprend beaucoup mais il me dit : « Tu sais Philippe, ton souci de demander l’avis des participants, des acteurs et des citoyens, de les impliquer, de voir quels sont leurs futurs souhaitables, ça ne peut pas marcher chez moi. Si je demande à mes concitoyens du Texas ce qu’ils veulent, ils vont me répondre un cheval et pas autre chose ». C’est évidemment une boutade, donc caricatural, mais cela veut dire que notre type d’approche n’est pas leur préoccupation majeure. La pensée de Crozier dans l’Acteur et le système, qui montre que ceux qu’on n’intègre pas dans la réflexion ne s’impliquent pas dans la mise en œuvre, ou la logique d’appropriation du triangle grec de Michel Godet, ne se retrouvent pas de cette manière chez les Américains pour qui la question du leadership est probablement prioritaire.
En revanche, ce qui a été fait en Allemagne, en Hollande, en Finlande, en Espagne, est très proche de nous et on a investi très fort au Collège européen de prospective pour essayer de rapprocher tout cela et faire en sorte que Paris soit l’un des cœurs de cette prospective européenne. Je constate que ce n’est plus le cas aujourd’hui pour différentes raisons et que, non seulement cette prospective européenne n’est plus qu’une prospective très diluée, mais qu’elle n’a plus beaucoup cours à la Commission européenne non plus. Finalement, la prospective européenne et les réseaux qui ont été mis en place sont surtout pilotés – je ne dis pas cela de façon désagréable – par des acteurs et chercheurs de l’Europe de l’Est qui ont adhéré à une prospective qui n’est pas celle de la pensée de Gaston Berger ; c’est plutôt une stratégie mais qui ne se projette pas vraiment et qui s’est connectée directement à la prospective américaine. On assiste ainsi à la faillite d’un système et de réseaux qu’on avait pourtant voulu pérennes. C’est un regret, mais nous gardons la volonté de nous réinvestir avec ceux qui voudraient le faire. Et, si c’est possible, de reprendre des initiatives avec vous, pour que Paris redevienne un phare de la prospective européenne.
Je vous remercie beaucoup.
DÉBAT
Intervenant – Merci beaucoup pour cette présentation tout à fait intéressante. J’ai vraiment eu l’impression que telle que vous la présentez, la prospective c’est mettre en relation des gens, c’est créer des réseaux, aller vers une pensée collective, etc. Je trouve cela passionnant. Est-ce que ça vient spécifiquement de vous qui avez ce tempérament de création ou est-ce la démarche prospective elle-même qui est porteuse de cela ? C’est ma question.
Par ailleurs, j’aimerais revenir sur ce que vous disiez au début, que l’Institut Destrée se fixait pour but de donner de la consistance à l’idée de Wallonie. Après tous ces exercices de prospective, l’idée a-t-elle pris de la consistance ?
Philippe Destatte – Je pense qu’il faut revenir à la pensée trifonctionnelle car elle est le rempart face à l’idée que le délibératif serait plus important que les autres dimensions. Or, même en terme budgétaire, je dis qu’il faut mettre 30 % sur chacun des trois côtés : il faut des diagnostics sérieux autrement on délibère « au café du commerce ». Il faut un travail rigoureux, solide, qui déconstruit aussi. On évoquait les questions statistiques, pourquoi on présente les statistiques d’une manière ou d’une autre, cela c’est un travail de déconstruction du prospectiviste. Ce travail, c’est d’abord l’analyse rigoureuse des données, qui se fait de façon collective parce qu’on ne travaille pas seul : la prospective ne se fait que de façon pluridisciplinaire et en groupe. Sinon, c’est autre chose. Si l’on veut aller jusqu’à la mise en œuvre, il faut impliquer les acteurs et notamment les élus : il faut qu’ils soient là régulièrement et qu’après chaque phase de la prospective il y ait un rendu vers eux, sinon on débarque avec des « trucs » et ils se demandent d’où ils sortent. Il y a un côté « camp scout » dans un exercice de prospective, c’est-à-dire que les gens qui ont été impliqués reviennent, vivent quelque chose et les autres les regardent et disent en rentrant chez eux : « C’était terrible ». Les parents, eux, sont plutôt sereins parce qu’ils n’ont pas vécu cela. Je pense que cette distance-là doit vraiment être travaillée.
Votre deuxième question sur la consistance est vraiment une très bonne question. Je pense que la prospective wallonne peut exister. La formule est de Jacques Lesourne, initialement, moi je n’aurais jamais osé l’utiliser. En 2000, le fondateur de la Chaire de Prospective industrielle du CNAM m’a dédicacé « Un homme de notre siècle » en m’encourageant pour, je cite, mes « efforts de développement de la prospective wallonne » Nous avons mené un travail d’acculturation à la prospective très important en Wallonie. Pourquoi ? Parce qu’une série des personnes dont je vous ai parlé – ce ne sont pas les plus jeunes évidemment – qui ont été impliquées d’exercice en exercice, travaillent dans le Collège de prospective depuis dix ans, dans la plateforme d’intelligence territoriale depuis dix ans (ce ne sont pas les mêmes). Il y a aussi plein de jeunes qui les rejoignent. Tous ces acteurs et chercheurs sont acculturés à la prospective et ils vont très vite lorsqu’on travaille avec eux. Il existe une réelle culture de la prospective en Wallonie.
Maintenant, on observe un problème que je dénonçais en ouverture du colloque de Deauville, le 11 juin 2009. Je commence le colloque en racontant une histoire vraie : les élections régionales en Wallonie. Je raconte que tout le monde croyait qu’un parti bien structuré, avec un programme, un bon leader… allait faire basculer la majorité en Wallonie. Ce leader, Didier Reynders, était un fin tacticien, ministre des Affaires étrangères de la Belgique à ce moment-là. Mais un membre de son parti avait dit une phrase que j’ai reprise à ce moment-là : « C’est un excellent politique, un excellent élu, un fin tacticien, il est très intelligent mais il n’anticipe pas ». Et là on a un problème, c’est la capacité d’anticiper des élus. Ils sont pris dans des problèmes quotidiens énormes. Vous allez me dire : tous les élus sont logés à la même enseigne. Oui, mais quelques-uns arrivent à s’en sortir, les autres pas. Actuellement, nous n’en avons pas de la première catégorie, et chaque fois que je vois des ministres arriver, de législature en législature, des gens brillants, je me dis : « Celui-là il va accrocher, anticiper, laisser une pensée prospective se déployer ». Malheureusement, je ne la vois pas se déployer à ce niveau.
Par contre, là où je la vois (y compris avec les mêmes hommes, c’est ça qui est troublant), c’est au niveau territorial parce que sur un territoire infrarégional un élu amené à piloter un exercice de prospective, à animer un conseil de développement, a parcouru le chemin qui lui permet d’expliquer, de faire comprendre aux autres et in fine de s’impliquer.
Alors on se dit : « Ce gars-là, Ministre-président, il va faire la même chose. » Et on s’aperçoit qu’au niveau régional il n’y arrive pas parce qu’il est englué dans des logiques politiciennes, institutionnelles qui ne sont pas celles de la prospective. Il ne cherche pas à impliquer les acteurs, il reste dans la concertation, chacun joue son rôle, les syndicats, le Conseil économique et social… et les choses ne bougent pas comme on le souhaiterait.
La prospective ce n’est pas ça, la prospective c’est : « Quelle est la vision de la région à l’horizon de trente ans, je suis Ministre-président, je réunis les trente personnes qui comptent le plus et qui sont les plus représentatives et je passe deux jours avec elles ». On a fait ça avec le Conseil régional de Basse Normandie en incluant des gens de Haute Normandie et ça a marché, la vision est représentative. Ils ont peut-être eu peur de la développer mais ils y sont parvenus, et elle est là, réalisée.
Intervenant – Jacques de Courson
J’ai eu l’immense plaisir d’être convié par Philippe à Namur pour débattre de « prospective et politique », je croise cela avec le travail fait avec Bishop au Collège européen de prospective à Deauville et je tire deux conclusions et une interrogation.
La première conclusion c’est que la prospective politique au sens large est extraordinairement « casse-gueule » à la fois pour nous et pour les hommes politiques avec lesquels on travaille parce que ça se termine parfois très mal. Nos amis brésiliens appellent ça un fracasso[10]. J’ai travaillé pendant plus de dix ans avec l’un des rares Premiers ministres français passionné de prospective, Jean-Pierre Raffarin… et au bout de trois mandats c’est Ségolène Royal qui lui a « piqué » la région Poitou-Charentes. Donc, la prospective n’est pas une assurance tous risques. On est quasiment sûr de se tromper mais il faut avoir non seulement de l’humilité mais aussi de l’intelligence tactique. Mitterrand qui ne faisait pas du tout de prospective disait : « Je n’ai que la stratégie de mes tactiques.» C’était un tacticien redoutable, il est resté quatorze ans président de la République. Il n’avait pas besoin de faire de la prospective car la prospective c’était lui. Cela m’a toujours frappé dans les relations avec les élus et avec les chefs d’entreprise : quand on fait un exercice de prospective, même collectif, même en essayant, comme tu le fais à l’Institut Destrée, d’associer le maximum de partenaires, de groupes de travail, sur la durée, avec de l’argent, avec de l’effort, avec un bon diagnostic… en face c’est le vide. C’est-à-dire, c’est quoi demain ? Je me souviens d’un maire à la sortie d’un dîner de prospective qui avait duré longtemps, il m’a dit : « Demain matin je fais quoi, Monsieur de Courson ? » C’est très bien de dire que la prospective doit permettre de décider mais il faut aussi agir et la prospective ne vous apprend pas à faire, c’est là où ça bute. Je voudrais ton sentiment, Philippe, sur les échecs de la prospective qui est un exercice enivrant, passionnant, merveilleux intellectuellement, culturellement, mais qui se heurte au réel. Est-ce qu’avec de la prospective, on peut transformer le réel ?
Philippe Destatte
C’est la question piège. Je pense qu’on transforme le réel dans certains exercices de prospective. Celui qu’on a commencé sous le titre du Bassin de la Haine – vous connaissez tous le Hainaut : il y a une rivière qui s’appelle la Haine, le bassin de vingt-cinq communes là-bas s’appelait le Bassin de la Haine ; il y a un affluent dont le nom est La Trouille. Donc entre la Haine et la Trouille, vous voyez où on se trouvait. Il s’appelle maintenant le Cœur du Hainaut, il existe une intercommunale de développement que je voyais comme le moteur au moment de l’exercice et qui ne voulait d’abord pas l’être mais qui, ensuite, a saisi cette opportunité et est montée en puissance au moment de l’exercice de prospective. Avec cette intercommunale, agence de développement, on a monté une stratégie et on est arrivé en se disant : « C’est une région qui a été sinistrée, qui est sous Fonds structurel européen, mais on n’aura plus d’argent de l’Europe. » C’est ce qui était anticipé. Puis, l’Europe a créé les « régions en transition », et le Cœur du Hainaut a reçu 200 millions d’euros. Cet argent est arrivé au moment où on avait terminé le plan stratégique. On ne lui pas donné cette somme, la région a eu en fait 1,7 milliard d’euros. Toutes les sous-régions étaient éligibles mais ce territoire du Cœur du Hainaut est arrivée avec un travail qui lui avait pris quatre ans, avec un changement de son territoire, une articulation des acteurs, une dynamique et une volonté commune, les élus n’y croyaient pas trop au début mais lorsqu’ils ont vu que la sauce prenait – vous avez connu cela dans des exercices chez toi aussi – ils se sont embarqués dans le navire. Aujourd’hui, ils ont non seulement un plan stratégique mais ils ont les moyens de le mettre en œuvre et ça c’est une prospective qui marche au niveau territorial.
Intervenant – Marc Mousli
Tu as parlé tout à l’heure du Pays basque et moi je trouve que l’exercice Pays basque 2010, que vous pouvez trouver sur le net (les cahiers du LIPSOR sont en ligne), est remarquable dans ce domaine. Lorsque tu dis qu’à la fin de l’exercice de prospective, François Bourse, qui a fait un grand travail de prospective là-bas, a laissé la place à l’équipe d’Acadie qui, avec Daniel Behar, ne sont pas des prospectivistes-nés bien sûr… il a certes passé le relais, mais il y avait eu du boulot de fait. Les Basques avaient créé un conseil de développement, une nouveauté à l’époque. Et leur idée de génie, c’est le conseil des élus, qui rassemblait tous les élus du Pays basque quelles que soient leur couleur et la durée de leur mandat… ils ont fait valider par ces élus une série de décisions, après des exercices très locaux qui duraient six mois, sur des sujets concrets.
Pays basque 2010 a tellement marqué le Pays basque qu’ils ont réalisé par la suite Pays basque 2020. Je crois qu’ils ont très bien réussi le passage de la prospective à l’action.
Intervenant (Thierry Gaudin)
Merci de nous avoir rappelé ces succès. Je voudrais en ajouter un : l’Europrospective, puisque tu as été partie prenante avec Riccardo Petrella à une époque où il y avait une grosse activité de prospective à la Commission.
Tu as une formation d’historien, en quoi cette dernière t’a-t-elle aidé à la prospective ?
Philippe Destatte
Sur cette prospective européenne, beaucoup de choses ont été dites. Tu rappelais Riccardo Petrella, le programme FAST[11] auquel Michel Godet a également participé. Ce sont des choses qui restent. Riccardo est intervenu dans La Wallonie au futur en 1987 puis a participé assez longtemps à notre comité scientifique. En étant assez assidu en particulier au début des années 2000.
Sur ma formation d’historien, évidemment que cela aide. J’évoquais Jean Chesneaux, la problématique des temporalités qui est essentielle. La prospective m’a aussi ouvert les yeux, en tant qu’historien, sur le fait – comme dirait Edgar Morin — qu’il n’y a pas un passé mais des passés que l’on reconstruit constamment. Cela nous familiarise avec les futurs. Je ne trace donc plus une ligne du temps linéaire, je l’ouvre en éventail d’un côté et de l’autre, avec un moment du présent très fin. Ma formation m’a aidé le plus sur la critique des sources parce que là aussi, dans le monde de la prospective, nous ne sommes pas toujours très bons. Passer les données à la critique des sources, s’interroger « ça vient d’où ? quel est le type d’information ? », sortir des lieux communs… J’évoquais la question du terrorisme tout à l’heure, on dit tout et n’importe quoi sur ce sujet. Il y a un tel matraquage qu’on en vient à être presque persuadé de réalités qui n’en sont pas. Je pense que c’est surtout sur cet aspect-là que le métier d’historien peut aider. A nouveau, c’est Jacques Lesourne qui m’a encouragé à me professionnaliser dans le champ de la prospective en m’indiquant, à la fin des années 1990, que la prospective avait besoin d’historiens.
Intervenant Marc Mousli
Je voudrais vous signaler un livre sorti il y a quelques mois, un ouvrage d’histoire contrefactuelle, une approche voisine de ce que disait Philippe tout à l’heure et en particulier du livre de Lesourne sur ces futurs qui n’ont pas eu lieu. Il s’agit de Pour une histoire des possibles par Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou (éditions Seuil, février 2016). Ils ont fait un gros travail d’historiens – ils ne sont pas prospectivistes – sur ces What if ?
Intervenante – Régine Monti
Une question sur les points de bifurcations. Vous avez six ou sept ans de recul sur cette méthode… quelle est votre prochaine étape : qu’avez-vous envie d’améliorer ou de changer dans votre approche ?
Philippe Destatte
J’aimerais l’utiliser en entreprise. On l’a utilisée avec des chambres de commerce et d’industrie, avec des entrepreneurs dans des clubs d’investisseurs, à plusieurs reprises, chez Investsud à Marche, mais travailler dans une entreprise en tant que telle, on ne l’a pas encore fait. J’espère avoir l’occasion de le faire.
C’est aussi un apprentissage dans la critique de la prospective que j’évoquais tout à l’heure. Généralement, on travaille sur les territoires mais il nous arrive de travailler avec des organisations, on a fait une prospective avec la CSC (Confédération des Syndicats Chrétiens) : on les a aidés en 2007-2008 à définir une nouvelle stratégie à l’horizon 2020. Nous avons organisé des exercices résidentiels avec des centaines de syndicalistes pour parler des questions de l’emploi, de transformation industrielle… C’est un travail difficile mais un vrai travail avec des participants : il n’y a pas besoin de les pousser pour qu’ils donnent leur avis.
Intervenante – Régine Monti
C’est amusant : Marc et moi avons animé en 2006-2007, une démarche de prospective avec la CFDT branche Banques et institutions financières, très participative, et nous venons de refaire la même démarche, avec la même branche CFDT (devenue Banques-Assurances), de façon encore plus participative puisqu’on a une très forte participation. Un travail utile et réussi, qui débouche sur des modèles en rupture et avec une très forte adhésion de la base. Une bonne chose à un moment où d’autres syndicats donnent l’impression d’être des dinosaures.
Philippe Destatte
Pour compléter la réponse sur ce qu’on espère, nous voudrions nous poser sur les méthodes et écrire beaucoup plus. On est pris dans un tourbillon : on donne son cours, on va sur le territoire, on essaie de nourrir l’un de l’autre mais on connaît tous une crise depuis 2008-2009 qui nous a contraint à réduire les équipes. Ce qui nous manque, c’est un relais de recherche. C’est ce qu’on a voulu trouver en engageant Chloé Vidal comme directrice de recherche à l’Institut Destrée. Elle travaille dans son réseau à Paris, à Lyon et ailleurs, forte de son expérience sur le territoire de Rhône-Alpes, à l’ARF et au Commissariat général à l’égalité des territoires, de son background de géographe et de philosophe, et de sa thèse, et elle nous aide à réfléchir et à avancer. Cela devrait nous aider beaucoup.
Intervenant
J’ai une question technique sur la méthode des bifurcations appliquée en entreprise. Si je veux une vue rétrospective, je vais devoir discuter avec des anciens ayant dix, quinze ou trente ans de carrière et là on est dans un modèle de représentation différent, avec des questions du genre : « Pourquoi moi j’ai échoué ou pourquoi a-t-on pris telle ou telle décision à tel moment ? » Est-ce que cela ne constitue pas une limite de l’exercice, en termes de représentation.
Philippe Destatte
C’est une difficulté qu’on peut rencontrer mais n’oubliez-pas qu’on travaille toujours avec une approche systémique donc ce qui nous intéresse c’est le territoire dans son système, donc l’entreprise ce n’est pas uniquement l’entreprise, c’est ce qui s’est passé avant dans la filière, dans le monde. Pourquoi d’autres entreprises semblables ont essayé de se lancer mais n’y sont pas parvenues, pourquoi d’autres qui dominaient leur marché ont fait faillite ou sont parties s’installer ailleurs ? Il y a toujours une histoire, il n’y a rien qui naît de rien et je travaillerais plutôt sur cet aspect-là.
Les chefs d’entreprise sont comme les syndicalistes : il n’est pas facile de les faire démarrer. Lorsqu’on a travaillé sur la prospective des politiques d’entreprise pour le ministre de l’Économie, il nous a dit : « Vous allez travailler avec l’Union wallonne des entreprises » (donc le MEDEF) Nous lui avons répondu « ils sont les bienvenus mais ils ne sont pas les entreprises : c’est un syndicat – ils n’aiment pas qu’on leur dise cela – et nous voulons travailler avec les gens des entreprises, ceux qui ont les pieds dans la boue comme dit Michel Godet, et les mains dans le cambouis. Alors ces chefs d’entreprise sont venus mais pour certains d’entre eux le moteur de la voiture tournait toujours dehors, ils étaient hyper pressés, ils disaient : « J’arrive à 8 heures mais à 9 heures je suis parti… » Puis, finalement, à midi ils étaient toujours là en train de boire le verre de vin avec nous, de manger le sandwich parce qu’ils découvraient la plus-value pour eux : comprendre le monde dans lequel ils se trouvent. Ils ne le comprennent pas, ils connaissent leur secteur, leur domaine mais si vous leur parlez des politiques publiques par exemple, ils sont perdus. Chez nous ils venaient au niveau régional dire : « Il faut baisser la fiscalité ». A l’époque il n’y avait pas de fiscalité régionale pour les entreprises. Donc, on était surpris, on se disait : « Ils n’ont même pas compris que c’est fédéral ». Mais petit à petit, ils finissaient par comprendre des concepts sur lesquels on travaillait, ils étaient curieux, il fallait leur expliquer mais cette explication était le moteur de leur implication. De notre côté, nous avons énormément appris à leur contact.
Intervenante
Je travaille dans l’entreprise, donc, je rebondis sur le lien entre prospective et stratégie. Si je prends mon exemple – une grande entreprise dans le secteur des services au niveau mondial — la stratégie c’est du très court terme, pour dégager du bénéfice pour les actionnaires. Et sur des thématiques qui sont au cœur de la création de nouveaux schémas de valeur et de l’innovation sociale comme l’économie circulaire, l’éco-design, les symbioses industrielles, la résilience climatique, l’entreprise n’a pas encore innové. Ma question est la suivante : comment faire prendre conscience qu’on peut allier une stratégie à court terme pour les actionnaires et un travail de prospective sur des thématiques qui demandent une vision à long terme, notamment sur la résilience climatique ?
Philippe Destatte
Je n’ai pas toutes les réponses mais je pense qu’il est essentiel, pour une prospective de transformation, opérationnelle, d’aller très vite sur des actions immédiates. Parfois ça prend des mois pour réfléchir, mais il ne faut pas se dire : « On commencera à travailler après des mois ». On peut produire des actions qu’il faut engager tout de suite, en expliquant que la prospective c’est se donner des marges pour du long terme afin de faire des transformations profondes mais si on attend trop longtemps, on ne pourra pas faire de transformation. C’est pourquoi, il faut se mettre à l’action dès le lundi matin.
Bien souvent, on ne peut pas poser les problèmes avec des acteurs dans le quotidien, et quand on décide de faire un exercice de prospective, on va donner des coups d’épaule dans son agenda pour se trouver des plages qui permettent de réfléchir avec les clients, avec les fournisseurs, avec les pouvoirs publics, pour essayer de trouver des solutions. Je pense que là on s’aperçoit vite de la force de la prospective qui permet d’aborder des questions comme l’économie circulaire ou les analyses de métabolisme… Il y a des mesures à prendre immédiatement et il existe des choses qui demanderont cinq ou dix ans. Faire ce travail, faire le tri entre les investissements à réaliser très rapidement ou les choix à faire très vite mais qui auront un impact dans dix ans, pour moi cela relève de la même urgence, même si l’on sait très bien que les temps vont être différents pour la mise en œuvre.
Intervenant
Concernant les entreprises, tu vas avoir des problèmes de sources car peu d’entre elles tiennent à jour leur histoire et en général il y a plusieurs manières de la raconter selon l’interlocuteur. Ta discipline d’historien va être mise à rude épreuve si tu commences à t’intéresser aux entreprises.
J’ai une autre question. Que penses-tu du rôle des films ou des vidéos dans la prospective. J’ai repéré, à plusieurs reprises des films qui avaient anticipé des changements importants tels que l’ouverture des pays de l’Est ou des choses comme ça. Aujourd’hui, le film de prospective qui s’appelle Demain a un succès extraordinaire, plus d’un million d’entrées. Est-ce que la prospective n’est pas en train de se transformer profondément avec d’autres modes de diffusion ? Le film Demain ce n’est pas seulement la France : c’est une enquête mondiale. Je pense aussi à Bajrangi Bhaijaan, une grande histoire de réconciliation entre l’Inde et le Pakistan. C’est un film qui anticipe quelque chose qui est en germe dans ces pays. Est-ce que la prospective, qui était une affaire de consultants et de chercheurs n’est pas en train de se transformer profondément ?
Philippe Destatte
Sur la question de l’histoire et des sources, dans la méthode des bifurcations, ce n’est pas un problème : ça n’a pas d’importance que les gens aient une représentation du passé qui ne correspond pas à l’analyse qui pourrait être la nôtre, qui pourrait même être ou non la réalité. S’ils analysent des bifurcations et que sur ces dernières ils disent : « Voilà comment nous voyons les choses », il faut les laisser faire : la rectification n’aurait pas nécessairement du sens. Je donne un exemple : les chefs d’entreprise avec lesquels on travaille en Wallonie disent : « Avant le ministre-président Elio Di Rupo, l’entreprise n’était pas une question pertinente au sein du parti socialiste. » C’est complètement faux ! Il y a eu toute une série de ministres socialistes qui étaient très tournés vers l’entreprise dans les années 1980 mais à quoi ça sert de leur dire que c’est faux ? Ils sont, à ce moment-là, dans une logique qui les aide à réfléchir, donc on ne va pas contrôler ce qu’ils disent. On leur demande : « A quel moment y a-t-il pour vous, dans votre ressenti, une bifurcation ? » Ils répondent : « C’est à ce moment-là ». Alors on travaille sur cette bifurcation-là.
De la même façon, il y a des moments qui sont pour nous historiques, fondamentaux, que l’on identifie comme des bifurcations, c’est-à-dire des kairos, le moment favorable où des choses auraient pu être faites et où rien n’a été fait. C’est le cas de la communautarisation de l’enseignement, c’est-à-dire le transfert des compétences vers ce que nous appelons les Communautés flamande, francophone, germanophone. Chez nous, l’enseignement était national jusqu’en 1989, il est communautarisé cette année-là. Pour les ministres wallons, c’est une chance énorme de réformer le système puisqu’il change de registre institutionnel. Or, ils continuent exactement ce qu’ils faisaient avant dans un système qui n’était pas performant. Donc, ils ratent une occasion de bifurcation. Ce qui est intéressant c’est quand les enseignants vous disent :
« 1989, c’était une bifurcation
– Oui qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– Rien.
– Qu’est-ce qui aurait pu se passer ?
– On aurait pu faire ça… »
Alors, vous le notez et vous le reportez dans la prospective et vous dites : « Pourquoi ne fait-on pas cela aujourd’hui, est-ce que ça a été fait depuis ou pas ? » Vous voyez que cela a été plus facile de réfléchir de façon rétroprospective que de façon prospective. Mais si à ce moment-là on disait : « Attendez, on va réfléchir, vous vous trompez, on ouvre un débat » ça n’aurait pas de sens. Cela a plus de sens sur le diagnostic par exemple.
Quant aux films, ce sont des médias comme les autres qui peuvent être performants, percutants et qui nous aident à prendre conscience. Il y a toujours eu des films qui nous ont envoyé des signaux. Encore tout à l’heure, une étudiante parlait de contre-terrorisme en Grande-Bretagne et disait : « On n’a jamais imaginé qu’il puisse y avoir des gens qui se fassent sauter comme ça dans des cafés, en Angleterre avant les années 2000. » Sauf que moi j’ai vu des films dans les années 1980-90 où l’on voit des Pakistanais se faire exploser à Londres. C’est le cas par exemple du film Ultime Décision (Executive Decision) de Stuart Baird, sorti en 1996 et tourné avec Steven Seagal, Kurt Russell et Halle Berry. Lorsqu’on dit qu’on n’avait jamais imaginé qu’il puisse y avoir des réseaux terroristes en Belgique, on se trompe aussi. Lors de la coupe du monde précédente, il y avait des Afghans qui préparaient des attentats, ils étaient déjà là, ils étaient à Bruxelles et on les a arrêtés. Cette fois-ci ils n’ont pas été arrêtés à temps…
Intervenant – Jean-François Tchernia
Je voudrais revenir sur votre deuxième chantier. Vous avez expliqué que c’était une prospective des valeurs et des comportements. Comme c’est un domaine dans lequel je suis très investi, ça m’intéresse d’en savoir un peu plus. On dit parfois que ces histoires de valeurs et de comportements c’est une sorte de « ventre mou », ce que je ne crois pas du tout, mais comment travaillez-vous là-dessus ?
Philippe Destatte
Avec le Collège régional de prospective, on a travaillé, vers 2005-2006 sur un diagnostic en analysant les comportements en Wallonie à partir d’exemples concrets pour essayer de dresser une carte des comportements wallons. On a donc essayé d’identifier des comportements souhaitables et inadéquats, de faire deux cartes assez complexes, pour arriver à une analyse fondée sur l’expérience. On a formé un groupe de travail avec des gens qui ont dit : « Voilà, il s’est passé ceci, cela ». Cela peut être le fait que sur les autoroutes on a l’habitude de rouler à 130 alors qu’on devrait rouler à 120, ça peut être des problèmes éthiques avec certains élus, etc.
J’ai ici les cinq comportements souhaitables types. C’est le résultat de la coopération entre acteurs différents, la prise de conscience de l’intérêt d’un avenir commun. Nous avons fait ressortir l’absence de vision et d’adhésion à l’éthique et aux lois de la société. En Belgique comme en France, les hommes politiques s’autorisent des dérogations de cumul majeures et on a des ministres qui sont en même temps président de région ou maire de grandes villes.
J’ai commencé par vous parler des « piliers », cela reste un problème majeur, lorsqu’on essaye de créer un pôle académique sur le Hainaut, à l’université de Mons. Il reste une petite université, la faculté universitaire catholique de Mons, qui dépend de Louvain, et où l’on propose les mêmes cursus, les mêmes formations que l’université qui est à côté. C’est classique et ils essayent d’attirer les étudiants vers Louvain après.
Si vous recensez les comportements inadéquats, celui-là c’est le partage du gâteau : chacun essaie d’avoir une part. Sur cette base, on a essayé — y compris en s’inspirant des travaux que vous avez faits [12], de ceux qui ont été publiés dans Futuribles, etc. — de faire un travail de modélisation plus important, de voir ce que ça représentait, ce qu’on pouvait en tirer… C’est un travail qui a duré deux ans.
Intervenant – Marc Mousli
Merci beaucoup à Philippe Destatte, je suis très content qu’il soit venu et je pense que c’est un des débats les plus riches de la saison. Merci beaucoup Philippe et ce que je te souhaite (et que je nous souhaite, en tant que lecteurs) c’est qu’au-delà du blog que tu tiens, tu réussisses à transmettre toute cette expérience qui est d’une richesse unique. Merci.
Notes
[1] La Wallonie est dirigée par un exécutif, le Gouvernement wallon, composé de huit ministres, qui désignent parmi eux un Ministre-président. Les ministres sont élus par un parlement de 75 membres eux-mêmes élus au suffrage universel direct. La prospective fait explicitement partie des attributions du Ministre-président.
[2][2] Allusion à la démarche de prospective territoriale Limousin 2007. Animée par Bernard Bobe, avec l’appui méthodologique de Fabienne Goux-Baudiment, cette démarche lancée par Robert Savy, président de la Région Limousin en 1987 est, avec Pays basque 2010, l’un des travaux fondateurs de la prospective territoriale. Elle a connu deux suites : Limousin 2017 et Limousin 2027.
[3] Ces avenirs qui n’ont pas eu lieu, par Jacques Lesourne, éd. Odile Jacob, 2003.
[4] Habiter le temps, Passé, présent, futur, esquisse d’un dialogue politique, par Jean Chesneaux, éd. Bayard jeunesse, 1996
[5] La trifonctionnalité de la pensée, telle que l’entend Thierry Gaudin, c’est la nécessité de consacrer des temps différents et successifs à la réflexion, donc à la prospective : le temps de l’analyse, le temps de la délibération, le temps de la conceptualisation, en alternant ces fonctions dans une logique de préparation à l’action. (Cf. Ph. Destatte, S’inscrire dans un renouveau de la prospective européenne et favoriser une meilleure adéquation de ses méthodes, in Management & avenir, 2008/5 n°19).
[6] Richard Slaughter a montré que le cycle de transformation passe par une phase de conflit que la stratégie de l’ensemble de l’organisation doit être capable de surmonter, tantôt par une diplomatie opiniâtre, tantôt par une rude bataille (Ph Destatte, S’inscrire dans un renouveau de la prospective européenne et favoriser une meilleure adéquation de ses méthodes, in Management & avenir, 2008/5 n°19.
[7] La prospective territoriale dans tous ses états. Rationalités, savoirs et pratiques de la prospective (1957 – 2014), thèse soutenue le 5 juin 2015 à l’École normale supérieure, à Lyon.
[8] Voir Philippe DESTATTE, Les trajectoires prospectives de la Wallonie (2016-2036), dans Viginie de MORIAME et Giuseppe PAGANO, Où va la Wallonie ? Actes du cycle de conférences UO-UMONS, p. 65-87, Charleroi, Université ouverte, 2016. – Blog PhD2050, Charleroi, 25 février 2016, https://phd2050.wordpress.com/2016/02/28/trajectoires-prospectives-de-la-wallonie-2016-2036/
[9] Dans les régions françaises : SRADDET, Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires
[10] Fracasso (portugais) : échec.
[11] FAST : Forecasting and Assessment in Science and Technology.
[12] L’intervenant est Jean-François Tchernia, sociologue, auteur de « La France et ses valeurs » et invité du Café de la prospective le 5 décembre 2012.