30 heures par semaine
Produire plus et mieux en travaillant moins est la définition courante du progrès économique. Il y a un demi-siècle, Jean Fourastié nous expliquait comment le transformer en progrès social.
L’irrésistible progression de la productivité
La productivité et l’innovation sont les deux moyens de survie et de développement de toute entreprise soumise à la concurrence. Pour celles qui réussissent à produire plus et mieux en utilisant moins de ressources, la question suivante est : comment répartir intelligemment le surplus de productivité ? Il y a au moins cinq réponses: on peut investir pour continuer à progresser, distribuer les profits aux actionnaires, augmenter les salaires, diminuer la durée du travail ou baisser les prix.
Parmi ces diverses utilisations possibles des gains de productivité, la diminution de la durée du temps de travail n’a guère la cote de nos jours : depuis quinze ans de nombreux acteurs du monde économique et encore plus de la sphère politique s’acharnent contre les 35 heures avec une constance et une énergie qu’ils ne déploient pour aucune autre cause. Les défenseurs de la RTT, eux, se font discrets, l’application des lois Aubry ayant été tout sauf exemplaire.
Travailler 30 heures par semaine, avec 12 semaines de congé par an
Dans Les 40 000 heures, un livre publié en 1965 (*), Jean Fourastié, démontre qu’au milieu du 21e siècle il sera possible de ne travailler que 30 heures par semaine, 40 semaines par an et 35 années par vie. D’où le titre : le total fait 40 000 heures, mais l’auteur a fait un clin d’œil aux mythiques 40 heures.
Jean Fourastié, considéré comme l’un des grands économistes français du vingtième siècle, grand pédagogue, professeur au CNAM et à Sciences Po, n’avait rien d’un gauchiste échevelé. Centralien et docteur en droit, il fut président de l’Académie des sciences morales et politiques et même éditorialiste au Figaro…
Il avait pour règle intangible de « ne pas raisonner sur des idées, mais sur des faits » et de « rejeter l’abstraction autant qu’il est possible ». Son livre le plus célèbre, « Les trente Glorieuses » illustre bien sa méthode. Il compare minutieusement, dans le détail, la vie quotidienne dans son village du Lot en 1946 et en 1975. Des travaux sur la productivité, menés avec le même soin, lui ont inspiré son livre sur les 40 000 heures.
« Cultiver les aptitudes à la beauté, à l’amour et au rêve »
Que faire de ces gains de productivité ? Jean Fourastié les répartit équitablement entre l’investisseur, le client et le salarié. A ses yeux, le temps rendu aux salariés devait être réinvesti dans la culture. Il se disait persuadé que « le monde des 40 000 heures aurait, plus encore que le nôtre, besoin de beauté, d’amour et de rêve ; les aptitudes correspondantes doivent donc être cultivées ».
Le milieu du 21e siècle approche. Il faut donc cultiver sans attendre les « aptitudes à la beauté, à l’amour et au rêve », et se battre pour réaliser progressivement la prévision de Jean Fourastié. Nous sommes passés de 100 000 heures à 65 000 heures entre 1965 et 2000, un gain de 35 000 heures en 35 ans ! Les 40 000 heures en 2050 restent un scénario vraisemblable : un gain de 25 000 heures entre 2 000 et 2 050, ce devrait être possible !
(*) Les 40 000 heures, par Jean Fourastié éd. Gonthier-Laffont, 1965, réédité par les éditions de l’Aube en 2007.